Etude & tiers-lieux
PEUT-ON FAIRE ÉCOLE DES TIERS-LIEUX ?
Il existe autant de formes différentes de tiers-lieux que tiers-lieux. Ce sont des espaces imaginés sur-mesure pour leurs usager.ère.s. Ils évoluent en fonction des demandes du public et sont en lien étroit avec le territoire sur lequel ils sont implantés. Par nature, les tiers-lieux ne sont pas duplicables. Est-il possible de les imaginer en grand nombre, sur un territoire vaste sans créer un modèle figé, inadapté aux usages et aux besoins des locaux ? Afin d’illustrer et d’essayer de répondre à ce questionnement, voici plusieurs exemples de projets.
Le premier est mené par la SNCF. Le projet « Open Gare » a été lancé en 2016. Il a pour but de soutenir le développement économique des territoires. L’objectif est de créer des lieux hybrides et collectifs. Un appel à projets ouvert à tous a été lancé afin de réinvestir 34 gares de la région Nouvelle-Aquitaine. La SNCF a fait une sélection, parmi une multitude de propositions fin 2016, et de nombreux tiers-lieux sont actuellement en développement. On peut se réjouir de cet appel à projet permettant de réutiliser des espaces en friche et potentiellement de créer de véritables tiers-lieux. On peut tout de même s’interroger sur les modalités de sélection des projets.
En effet, pour être admis, il est nécessaire de correspondre à certains critères : posséder un espace de coworking, un fablab, un atelier de fabrication ou de réparation, une pépinière, ou un bar associatif, etc. La liste des critères de sélection est très variée. Selon nous, la notion de tiers-lieux n’est pas figée et c’est d’ailleurs ce qui la définit. Régulièrement, de nouveaux tiers-lieux apparaissent et possèdent des caractéristiques dont aucun tiers-lieu avant eux ne disposaient.
Le risque est que la présence de ces critères, qui sont ceux de la SCNF, impose un certain modèle ne permettant pas le « hors norme ». Certains projets intéressants et prometteurs pourraient alors ne pas être sélectionnés. On pourrait voir naître de nombreux tiers-lieux ayant des caractéristiques communes, qui ne seraient pas toujours adaptés à leur environnement local et qui ne répondraient donc pas au besoin des habitants. L’exemple de l’école Sinny & Ooko permet d’illustrer cette idée. Sinny & Ooko est une « école de tiers-lieux ». Elle propose des semaines de formation de 40 heures pour apprendre à créer et gérer un tiers-lieu. Elle est destinée à toute personne, diplômée ou non, qui souhaite s’impliquer dans l’évolution de son territoire et plus largement dans l’évolution de la société. Cette formation n’est pas un suivi individuel de projet. Ce sont des ateliers collectifs donnant les outils pour créer et gérer un tiers-lieu. Cette école a déjà permis la création de véritables tiers-lieux, principalement en région parisienne.
Cependant, en donnant les mêmes outils à différents porteurs de projets, il y a un risque de créer des tiers-lieux similaires, ce qui est contraire à l’idée même de tiers-lieux. Ils ont chacun leurs caractéristiques propres et ne peuvent pas être dupliqués. Est-il possible alors de créer une véritable école de tiers-lieux ? C’est le pari proposé par la Coopérative tiers-Lieux depuis 2011. Cette SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) a pour but de repérer, d’accompagner et de fédérer un réseau de tiers-lieux. Ces missions sont les suivantes : « Donner la possibilité aux habitants de travailler plus près de chez eux ; contribuer collectivement à des territoires de projets démocratiques et citoyens ; accompagner la mutation du travail à travers des tiers-lieux ouverts (sans distinction de revenus ou de statuts), pluridisciplinaires (sans distinction de secteurs d’activité) et abordables (sans volonté de faire du profit sur les usagers) » . Pour réaliser ces missions, la Coopérative a conçu un « tiers-lieu école » à Floirac en Gironde.
C’est un véritable tiers-lieu d’application à destination de la formation dispensée par la Coopérative. Les porteur.euse.s de projets peuvent s’exercer et tester des dispositifs sur le terrain. La Coopérative semble avoir compris les enjeux et les points essentiels à prendre en compte lorsque l’on veut se lancer dans la création d’un tiers-lieu : relation avec le tissu local, flexibilité, nouvelle gouvernance, expression des besoins et envies des usager.ère.s, etc. Malgré cela, les risques liés à la catégorisation du concept de tiers-lieu et à la duplication des structures ne seront jamais écartés. Le concept de tiers-lieu doit toujours être remis en question et ouvert aux nouvelles propositions. Un tiers-lieu culturel est à la fois un service, un outil, et un processus de création